La radiesthésie constitue un art très ancien qui remonte aussi loin que l’on puisse trouver des traces. Il faut attendre le XXe siècle pour qu’elle prenne une nouvelle dimension à travers la recherche de compréhension scientifique du phénomène et les regroupements de praticiens et notamment le congrès de 1913.
L’organisation du congrès
Il n’existe pas, au début du XXe siècle, de congrès spécifiques autour de la radiesthésie. Les praticiens se greffent autour d’autres institutions. La réunion de 1913 se tient lors du congrès de psychologie expérimentale qui tient ses assises à l’Hôtel des Sociétés savantes, sous la présidence de M. Boirac, recteur de l’Académie de Dijon dans l’objectif d’étudier les questions de magnétisme, d’hypnose et de suggestion.
La partie liée à l’utilisation du pendule et de la baguette s’organise autour de M. Henri Mager (1859-1938), ingénieur en hydrologie souterraine, et Armand Viré (1869-1951), directeur du laboratoire de biologie souterraine au Muséum d’histoire naturelle (Jardin des plantes). Il s’agit d’organiser des concours pour découvrir cette discipline qui fascine et en comprendre le fonctionnement. Les grands noms de la radiesthésie viennent procéder aux expérimentations : M. Hémon, professeur agrégé de philosophie au Lycée Ampère de Lyon, M. Probst qui vient des landes, M. Javel, juge de paix dans le Jura, M. Lerat, pharmacien dans la Loire-Inférieure, M. Ferront, M Hurteault et Gouin architectes, M. Pelaprat du Lot-et-Garonne…
Si le premier jour du congrès, animé par Henri Mager, consiste en un exposé théorique des procédés de radiesthésie, la suite du programme réside dans des expériences sur le terrain, dont on a indiqué que la foule était très nombreuse mais n’a pas perturbé le déroulé.
Les expériences
La première expérience est proposée à Vincennes. Les utilisateurs de baguette et pendule sont amenés à découvrir les cavités s’y trouvant. Aucune trace extérieure ne permet d’en déceler l’existence et seul Armand Viré dispose des cartes détaillées du service des carrières de la Seine. Les résultats ont été très surprenant pour les observateurs scientifiques car de nombreux radiesthésistes ont déterminés la configuration précise des cavités situées entre 16 et 20 mètres de profondeur.
MM. Pelaprat et Probst sont amenés à la porte Daumesnil. Le premier sourcier fut conduit sur une vaste pelouse coupée de routes macadamisées où aucune végétation, ni sonorité, ne permettaient de reconnaître l'existence des cavités. Celles-ci étaient recouvertes d'une épaisseur moyenne de quatorze mètres de calcaire grossier, puis de marnes, surmontées de terre végétale. Malgré cela, M. Pelaprat, avec sa baguette, reconnu très rapidement la limite de la carrière et en jalonna assez exactement les contours.
Quelques heures plus tard, M. Probst retrouva les limites indiquées par M. Pelaprat et traversant la pelouse, découvrit seize points délimitant trois carrés et un rectangle allongé qui étaient justement les quatre piliers de la carrière. M. Probst trouva ensuite la profondeur, à côté d'un pilier. Elle était de 16 mètres. Le plan coté donnait 15m 85. Le Monde Illustré en conclut : « l’assistance fut légèrement estomaquée, avouons-le ».
A Sartrouville par la suite il s’agit de rechercher de l’eau. Quoique contrarié par une météo particulièrement humide, les résultats ont été très concluants par rapport aux rapports des cartes de l’emplacement des cours d’eau. La recherche d’eau aux Buttes Chaumont dans les tuyaux de fonte a par contre été beaucoup moins concluante. Seul M. Mermet donna des indications d'une rigoureuse précision et d'une exactitude absolue.
L’épreuve suivante est dirigée par le Dr Le Bon. Il s’agit d’insérer des petits morceaux de métal dans des enveloppes cachetés et de découvrir le métal dont il s’agit. Cinq sections sont préparées : aluminium, argent, cuivre, plomb, zinc et Mm Probst et Ferron parviennent à les identifier.
L’épreuve suivante se déroule aux Jardin des Plantes où Armand Viré tient son laboratoire installé dans les catacombes. L’abbé Mermet se démarque alors en déterminant avec exactitude les cavités enchevêtrées dont il ne connaissait pas l’existence. Une expérience est alors menée pour savoir s’il peut trouver de l’eau. Il indique au président du jury qu’il est capable de savoir quand la canalisation, enfouie à 9 mètres sous terre dans les cavités, est ouverte ou fermée. Tandis que M. Viré descend dans les catacombes, que l’abbé Mermet s’installe à l’aplomb de la conduite, M. Richard, un préparateur au musée, chronomètre l’instant précis de ses constatations.
Le robinet est ouvert et fermé trois fois avec des intervalles allant d’une à trois minutes. Voici la conclusion de Viré : « A la fin de l'expérience, les résultats furent comparés et les moments d'ouverture du robinet furent reconnus concordants. Il n'en fut pas de même des moments de fermeture, qui furent enregistrés avec un retard très sensible. Mais le fait était dû à ce que pendant la fermeture il y, avait des remous, des coups de bélier qui prolongeaient la durée des mouvements de l'eau ».
La dernière épreuve consiste à chercher des métaux enfouis dans le sol. Direction le château Mirabeau. Une masse de fonte fut trouvée par plusieurs baguettisants, mais une bassine de cuivre jaune ne fut faiblement indiquée que par M Hemon au moyen de la baguette d'argent. Les radiesthésistes ne sont pas à l’aise avec ce type d’expérience car ils recherchent généralement des filons dans le sol (et avec grands succès parmi les représentants au concours), pas quelques morceaux.
Le constat de cette semaine est sans appel : « Après tant d’épreuves victorieusement subies, on serait malvenu à prétendre que la science « divinatoire » d es baguettisants est une plaisanterie. Nous nous trouvons en présence d’un « fait nouveau » et nous savons mieux que personne, nous autres Français, qu’un fait nouveau comporte appel, enquêtes soignées et jugement réformé ».
Une stupéfaction du monde scientifique
Ces moments ont été qualifié par la presse de « semaine des sourciers ». Voici un commentaire de l’époque qui évoque comment ont été abordées ces épreuves par le monde scientifique : « Les expériences publiques de baguette et de pendule qui ont été faites au printemps dernier, au cours de la semaine des sourciers à Sartrouville, au bois de Vincennes, au château Mirabeau, au Museum, ont provoqué, en France et à l’étranger, un sentiment d'étonnement et de curiosité.
Sous le contrôle sévère d’un jury impartial et de savants venus en sceptiques, la baguette et le pendule, si suspects jusqu’alors, ont accompli, parait-il, des prouesses, en permettant de découvrir des cours d'eau souterrains, de jalonner des galeries souterraines, de trouver une masse métallique enfouie, de déterminer la nature de plaques métalliques dis simulées dans des enveloppes ».
Les journaux plus populaires, comme Le Monde Illustré, font référence à ce même scepticisme et à ces « exploits » dont ils sont obligés de reconnaître l’évidence : « et voilà que nous allons retomber dans la même niaiserie ! « Une baguette de coudrier ne peut pas indiquer une nappe d’eau » ! C’est entendu ! « Comment voulez-vous qu’on sache ce qui se trouve sous vingt pieds de terre ! « C’est convenu ! Mais il n’est est pas moins vrai que, ces jours-ci, devant des hommes de science plutôt mal disposés pour les phénomènes que l’on annonçait, devant des fonctionnaires en défiance et, somme toute, incrédules, devant des journalistes prêts à rire et incubant de comiques comptes rendus, une dizaine de bons messieurs venus du Nord, du Midi, de l’Est et de l’Ouest, ont fort bien « deviné » qu’à tel endroit se trouvait une cavité souterraine, que là courait une rivière profonde, que dans telle enveloppe cachetée on avait enfermé du cuivre, du zinc, ou de l’or… ».
Armand Viré, membre du jury est également très sceptique sur le sujet. Il explique comment il a découvert l’utilisation de la radiesthésie durant ce congrès : « Par plaisanterie, je fis mine de chercher des sources. Jusqu'ici, en effet, l'idée ne m'avait jamais effleuré l'esprit que je puisse moi-même effectuer la moindre expérience dans cet ordre de faits. Tout à coup, en causant de choses quelconques, j'éprouve une sensation bizarre et je vois l'extrémité de la baguette baisser lentement vers le sol. Je continue à marcher et fais tous mes efforts, par une torsion en sens contraire des poignets, pour arrêter sa marche. Bien en vain, car celle-ci, avec une torsion très nette au point où elle sortait de mes mains se met enfin à la position verticale. Plus étonné que les témoins, je recommençai l'expérience cinq ou six fois dans des sens différents et toujours avec le même résultat. Les sondages montrèrent quelques jours plus tard qu'un gros filet d'eau passait effectivement à cet endroit ». C’est ainsi qu’il s’est passionné pour la discipline et est parvenu à faire reconnaître la discipline par des instances officielles.
L’académie des Sciences s’empare du sujet (déjà traité en 1853-1854 dont la conclusion de l’époque était l’existence d’un mouvement musculaire inconscient dû à l’imagination) en créant une Commission de la baguette des sourciers comprenant notamment M Dastre, ancien professeur d’Armand Viré. Celui-ci lui ayant fait part de son étonnement face à ces phénomènes inexpliqués mais accessibles. Il lui fait découvrir cette force en l’invitant dans son laboratoire. Après quelques essais, l’académicien parvient à découvrir l’emplacement des poutres métalliques qui maintiennent le plancher. Voici le témoignage d’Armand sur cette situation :
« Elève de M. DASTRE et ayant ébauché jadis dans son laboratoire ma thèse de doctorat, j'avais conservé avec mon vénéré maître des relations cordiales. Lui ayant fait reconnaître son aptitude à manier la baguette, je lui fis un jour arpenter son cabinet à la recherche du fer. Il devait s'arrêter dès qu'il obtiendrait un mouvement provoqué par ce métal, grâce à la méthode des témoins. Son préparateur devait marquer un point sur le sol au bout du pied de Dastre à chaque arrêt. Celui-ci fut assez étonné, après un certain temps de ce manège, d'avoir ainsi déterminé assez exactement une série de rectangles correspondant aux poutres en fer qui soutenaient son parquet. H. Dastre ignorait tout de l'expérience que je voulais lui faire tenter, ignorait aussi la nature et l'usage du témoin, un morceau de fer soigneusement enveloppé d'un papier que je lui avait mis en main; il devait regarder en l'air et ne pas se préoccuper des figures que sa marche devait éventuellement tracer ».
La guerre interrompt les travaux de la commission qui reprend en 1920 avec de nouveaux membres dont Branly, Charles Richet ou Edmond Perrier. Ce dernier, directeur du Muséum d’histoires Naturelles, avait déjà découvert plusieurs sources d’eau dans son pays natal en Corrèze. Il est alors décidé de reprendre des expériences de façon plus discrète que celles menées en 1913 (sans public). La première séance du 15 novembre est plutôt dédiée aux souvenirs des faits passés et du compte rendu fait devant les académiciens par Armand Viré le 22 décembre 1913. Après de nombreux débats, il est décidé en mai 1921 de faire découvrir des minerais par des radiesthésistes. Rendez-vous est pris le 5 du mois dans le parc de Meudon. Le test sur des échantillon n’attire aucun radiesthésiste professionnel qui préfèrent chercher des filons naturels et non quelques petits morceaux de métal. Ce n’est pas pour décourager les membres de la commission qui organisent de nouvelles expériences comme le 21 juillet à la recherche des conduites d’eau du parc de Versailles. Les amateurs venus tenter l’expérience échouent. C’est alors qu’est fait appel à M. Probst qui s’était déjà distingué en 1913. Le résultat est alors sans appel et les conduites sont trouvées avec exactitude et la commission d’indiquer que « Cette coïncidence des prévisions avec la réalité nous paraît très remarquable ». Les expériences se poursuivent avec un succès qui devient implacable grâce à l’appel de professionnels de la détection et la commission de conclure sur l’aspect fort utile du pendule.
L’art de la baguette et du pendule sort ainsi de l’occultisme et de la classification dans la sorcellerie (dont le terme est très proche !) pour venir non seulement au grand jour mais s’inscrire dans un travail scientifique. L’engouement, qui va durer jusqu’à la seconde guerre mondiale, est conséquent avec par exemple près de deux mille adhérents pour l’Association des Amis de la Radiesthésie. Cet engouement scientifique est à ramener au contexte intellectuel et scientifique des années trente dans lequel on découvre la TSF qui est une énergie circulant dans l’atmosphère, réceptionnée par un appareil spécifique (radio) mais (pas) directement par l’homme. D’où le parallèle en indiquant que l’homme (sourcier) pourrait capter d’autres informations. Ainsi, le Dr Régnault qui tente une explication du phénomène indique que « le sourcier est un être qui fait de la TSF sans s’en douter le moins du monde ». Cette découverte fait également échos aux travaux de Pierre et Marie Currie sur la radioactivité. Plus généralement, la période d’après-guerre fait la part belle à la science et aux progrès qu’elle permet de réaliser dans tous les domaines du monde quotidien, ce qui explique que de nombreuses professions vont s’approprier cet outil, dont les médecins, pharmaciens, ingénieurs…
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