Episode souvent peu connu de la royauté, leur lien avec la guérison. Lors de leur sacre, les rois Français ne manquent pas de « toucher » les personnes atteintes d’écrouelles pour les soulager en indiquant la célèbre formule : « Le roi te touche, Dieu te guérit ».
L’origine du don
Les rois disposeraient d’un pouvoir particulier de guérison qui est nommé thaumaturge. Il s’agit d’une personne qui guérit de manière miraculeuse et que l’on traduit du grec en « faiseur de miracle ». L’origine de ce « don » proviendrait du caractère « divin » des rois qui ne seraient pas choisi parmi les plus braves, mais parmi ceux ayant le plus de noblesse. Et ce don ne serait pas donné par n’importe qui mais par Dieu lui-même.
Avant les rois de France
Les traces de rois guérisseurs est très ancienne. Pyrrhus (-318-272) par exemple était connu pour le don de soigner les malades de la rate en appuyant son pied droit sur l’organe. On raconte (notamment Plutarque qui a rédigé des écrits à son propos), que lorsque sa dépouille fut brûlée, survécu le gros orteil droit.
Vespasien (9-79) est également connu pour ses talents de guérisseur. D’après les propos de Tacite, voici retracé une scène de magnétisme à Alexandrie où il séjourne entre 69 et 70. Deux habitants viennent demander de l’aide, l’un atteint de cécité, l’autre d’une main estropiée. Les médecins leur donnent espoir et préconisent l’application de la salive sur les yeux pour le premier (technique usuelle à l’époque comme peut en témoigner les prodigues du Christ), et pour l’autre il s’agirait d’une luxation à remettre en place. Direction le temple de Sérapis (vu dans la partie concernée pour les guérisons égyptiennes) qui préconise la rencontre avec Vespasien qui se déroule « au milieu de la foule » et aboutit à la guérison, juste avant le retour dans son pays pour son sacre d’empereur.
Les premières traces en France
Saint Thomas d’Aquin ferait remonter ce pouvoir thaumaturge à Clovis (481-511)[1], roi des Francs. La légende voudrait que tout débute autour d’un cavalier nommé Lancinet que l’on pourrait qualifier aujourd’hui d’aide militaire du roi. Ce dernier était atteint d’écrouelles. La première idée du soldat fut de suivre les traitements préconisés par Cornelius Celsus (-25-50), à savoir : manger un serpent. Malheureusement pour notre militaire, les deux tentatives qu’il pratiqua ne lui apportèrent pas la guérison. Mais un jour, le roi Clovis, en sommeillant, voit en songe qu’il touche doucement le cou de Lancinet et que la guérison apparaît alors directement sans aucune cicatrice. Au réveil, le roi fait mander le cavalier et essaye l’imposition des mains, opération qui se réalise comme il l’avait rêvé.
Il existe bien également un témoignage portant sur les pouvoir thaumaturges de Robert II le Pieux (972-1031) par le moine Helgaud de Fleury (-1048), mais il s’agit d’une faculté de guérison générale et non spécifique sur les écrouelles comme vont se spécialiser ses successeurs. Il avait le « don de guérir les corps de sa très pieuse main touchant les plaies des malades et les marquant du signe de la sainte croix, il les délivrait de la douleur et de la maladie[2] »
Les premières traces certifiées du pouvoir guérisseur des rois de France se trouvent au moment du règne de Philippe 1er (1060-1108) et se perpétue alors de génération en génération jusqu’à Charles X (1824-1830). C’est Guilbert de Nogent (1055-1125 dates qui diffèrent suivant les historiens), abbé de Nogent-sous-Coucy qui indique, dans son ouvrage Des reliques des saints (De pignoribts sanctorum), avoir vu Louis VI le Gros (1108-1137) toucher les scrofuleux. « Que dirais-je du miracle journalier que nous voyons opérer à notre maître Louis ? J’ai vu ceux qui ont des écrouelles au cou ou ailleurs, se presser en foule autour de lui, afin qu’illes touchât en les marquant du signe de la croix ; j’étais à ses côtés, et je voulais les en empêcher, mais lui, avec sa bonté naturelle, leur tendait doucement la main et il faisait sur eux le signe de la croix avec beaucoup d’humilité » Il précise également l’antériorité de l’acte à « son père Philippe [qui] avait accompli avec ardeur les mêmes miracles glorieux ».
Les écrouelles
Les rois français ont la particularité non pas d’être des magnétiseurs, toucheurs ou conjureur d’un grand nombre de pathologies, mais d’une seule : les écrouelles. Ce pouvoir est en concurrence avec le pèlerinage de Saint-Marcoul qui traite également de cette pathologie et qui va progressivement devenir partie prenante du rite royal.
La maladie des écrouelles trouve son origine étymologique dans scrofa qui signifie truie et qui désigne l’aspect répugnant et repoussant des boutons. C’est ainsi que l’adjectif dérivé est scrofuleux. Sa naissance est tuberculeuse et provoque des fistules purulentes au niveau du cou. Elle trouve sa source dans les maisons humides, le manque d’air et la nourriture insuffisante. Ce mal, en partie psychosomatique, est susceptible de nombreuses rechutes.
Les ganglions sont hypertrophiés et non enflammée, raison pour laquelle la maladie était également dénommée les humeurs froides. Elle laisse des cicatrices indélébiles. Son nom actuel est l’adénite mais trouve encore échos dans le « mal royal ».
Saint-Marcoul et les écrouelles
La maladie des écrouelles fait référence à Saint-Marcoul, son saint guérisseur. Marcoul vécut de 488 à 558, au temps de Childebert 1er (511-558) et de l’évêque de Coutances Saint-Lô (-565) (il a donné son nom à la ville). Sa vie s’oriente autour des guérisons et des voyages sur les pas du Christ. Sa renommée lui permis de fonder l’abbayes de Nanteuil autour de ses nombreux disciples. Les reliques échappent à l’incendie provoqué à la fin du IXe siècle par les Normands et sont conduites en direction de Saint-Yved de Rouen. Le voyage de Normandie se poursuit et les reliques sont accueillies par le roi Charles III dit Le Simple (893-923) en 898 dans son palais de Corbeny à Reims.
Le retour des moines dans leur localité se fait sans les reliques qui sont conservées par le roi qui en profite pour transformer son palais en monastère le 22 février 906 (ou 907). Au XIIe siècle, suite à diverses épidémies, le monastère se retrouve sans ressources et décide d’exposer les reliques pour provoquer guérisons et surtout aumônes. Le succès est au rendez-vous mais ce n’est qu’à la fin du XIIIe siècle que l’on mentionne spécifiquement des guérisons liées aux écrouelles, non sans lien sémantique avec le saint : mar (le mal) et cou (la localisation au niveau du corps).
Le pèlerinage des scrofuleux se développe à partir de la fin du Moyen-âge. La châsse est exposée le soir du 30 avril pour célébrer la fête du guérisseur le lendemain. Les pèlerins lavaient leurs plaies avec l’eau de la fontaine consacrée et les couvraient de bandelettes bénies au contact des reliques.
Les rois, qui se sont appropriés cette guérison, ont progressivement fait un détour par Corbeny lors de leur passage à Reims pour le sacre pour venir soigner les écrouelles, parvenant ainsi à mélanger guérison miraculeuse du Saint à celle du roi pour ne laisser au final que la guérison royale.
Miracle ou supercherie ? La place du corps médical
Le monde médical reste assez sceptique face au pouvoir thaumaturge, d’autant que ses représentants proposent différentes solutions pour traiter cette maladie. La plupart des médecins préconisent en premier lieu leurs propres traitements. Les recommandations faites aux patients venus en pèlerinage à Saint Marcoul font eux-aussi référence à des traitements médicamenteux : « «Les Malades tiendront leur mal bien net, en y appliquant des Epinards sauvages, appelez Herbes de Saint MARCOUL, s’ils en peuvent trouver, ou du Plantin, et laveront leur mal avec l’eau qui se bénit par l’immersion de la Relique du saint; et même en pourront user pour boire, s’abstenant de toutes sortes de fricassées, de têtes et de pieds, de poissons, de choux, de pois, de fèves, d’oignons, de porreaux, d’aulx, et usant de Vin avec modération » mélange de plantes et de foi sacré dans les reliques.
L’intervention chirurgicale arrive en second ordre et si jamais les plaies sont mal positionnées par rapport aux veines alors la solution royale est la dernière solution, comme en témoigne Giovanni de Vigo (1450-1525) dans la Pratique de Chirurgie (1542) : « Il convient de savoir que quand les écrouelles sont situées près des grandes veines, et quelles sont entre celles enfermées comme au col et dessous les mâchoires, Ie conseille [est] on les laisse, car c’est plutôt chose divine que humaine de les guérir, comme fait le très chrétien roi de France qui de seul attouchement du lieu les guérit, et depuis qu’il les a touchées elles se dessèchent et viennent a bonne cicatrisation ».
Les médecins du roi, qui participent activement aux différentes cérémonies du toucher, sont peu enclin à remettre en cause la solution proposée par leur employeur.
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